À partir de la mise en scène et de l’interprétation de Miracson Saint-Val au quatorzième Festival Quatre Chemins, Pòtoprens, Ayiti, novembre 2017.
L’article fait ressortir les traits majeurs du texte Chemin de fer, pièce de théâtre écrite par le Congolais Julian Mabiala Bissila, à savoir le traitement de la thématique de la guerre civile au Congo-Brazzaville par l’entremise d’une dramaturgie du corps-mémoire dans son rapport avec le geste artistique du metteur en scène et comédien haïtien Miracson Saint-Val dans le cadre du Festival Quatre Chemins en Haïti (2017). Ce spectacle qui, sur le modèle du palimpseste, donne à voir et à penser les tragédies quotidiennes traversant le réel haïtien, s’il constitue le coeur de l’étude, se trouve en perpétuelle tension avec le texte du dramaturge congolais Mabiala Bissila. L’article montre ainsi comment la problématique de l’inénarrable du traumatisme de la guerre, problématique centrale dans le texte de Bissila, trouve pleinement écho dans la mise en scène et le jeu de Saint- Val, qui fait appel aux ressources du rituel vodou et au mécanisme d’identification-métamorphose propre au phénomène de possession. À partir de ce spectacle contemporain, cette contribution présente ainsi un cadre théorique pour appréhender les enjeux anthropologiques, esthétiques et politiques des dramaturgies africaines et afro-diasporiques qu’elle qualifie, adaptant une formule de David Lescot, de “théâtre de l’état de guerre,” dans le contexte du traumatisme colonial.
Dans Chemin de fer, le corps est l’enjeu du conflit, l’épaisseur qui habite le texte […]
Il convient de souligner que le titre de la pièce, Chemin de fer, fait référence à toute une histoire. Le chemin de fer, symbole phare de l’ambition coloniale en Afrique, est un champ de gravitation de la violence, ponctuant ainsi l’arc narratif de la présence européenne, de la colonisation . la guerre civile. C’est aussi cette histoire qui est évoquée dans la pièce de Bissila, l’histoire d’une guerre contre les corps noirs.
Travailler à partir du vodou, c’est mettre l’accent sur le corps. C’est parler d’une tentative de retrouver une humanité alors que celle-ci a été brisée. C’est pourquoi le texte de Bissila n’a offert aucune résistance à un langage scénique ancré dans le vodou. Chez Saint-Val, l’incarnation multiple de Chemin de fer est assimilée au rite de possession dans le vodou, où les esprits incarnés correspondent à des morceaux d’une histoire “qui permet à l’homme de revivre, malgré la perte, les trous [de mémoire, soit] une partie de lui-même disparue.”